Sur les rives du grand fleuve a vécu une admirable rose
Des voyageurs matinaux chaque jour lui rendaient hommage
Et les enfants de la vallée lui chantaient des cantiques moroses
Car son parfum éternel faisait la joie des mages
Le soleil, sortant de son lit, s’abaissait pour la saluer
Sans se soucier de sa courte existence
Des marchands curieux s’arrêtaient pour la contempler
Sous le regard caressant de l’eau qui inspirait la patience
Elle amusait tout le monde pourtant elle vivait seule
Et nul n’était conscient de sa solitude
Elle se réveillait à l’aube avec le cri de la meule
Ignorant de la vallée la vastitude
La rose étendait gaiement ses feuilles vers l’horizon
Savourant les dernières gouttes du soleil levant
Brillant dans toute sa splendeur comme du borazon
Elle luttait toute seule contre, du large, le vent
Tout autour d’elle des papillons multicolores rodaient
De ses fleurs, des hirondelles butinaient du sucre
Jouant joyeusement avec les pétales qui la brodaient
S’amourachant de toutes les beautés de son lucre
Un après-midi d’hiver quand le soleil était à son déclin
Une solitude épouvantable semblait avoir raison d’elle
Des pèlerins qui revenaient des voyages lointains
Essayaient vainement de consoler cette rose solitaire et belle
Mais le soir silencieux et jaloux que rien n’étonne
Avait fini par s’abattre sur la pauvre délaissée
Dans un dernier soupir, elle lançait un cri monotone
Et s’évanouissait sombrement dans le passé
Et quand le matin revient, on ne voyait plus sa trace
Des oiseaux chantaient encore ; l’eau continuait à couler
Mais la rose, dans ce monde enchanteur, avait perdu sa place
La vie et le soleil, malgré tout, ne cessaient de briller
C’est vrai ce que dit le poète charmant
« Le soleil des vivants n’échauffent point les morts ».
Car nul n’accompagnait la rose en s’en allant
Que l’on soit riche ou pauvre, c’est là, de chacun, le triste sort
On naît seul
On vit seul
On souffre seul
On meurt seul.